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L’Echo

La soprano allemande Diana Damrau s’attaque à la trilogie des reines Tudor célébrées par Donizetti. Entre virtuosité et peinture de caractères, tout simplement royale.

Nous aurions dû ne parler que de son nouvel album, un fascinant Donizetti. Mais impossible d’évacuer la crise qui n’épargne pas la culture. Cruel rappel: son mari, le baryton Nicolas Testé, aurait dû être sur scène ce jeudi pour la première de Hamlet à l’Opéra de Liège. Fermé au lendemain de la générale. „Tout le monde a pleuré“, avoue Diana Damrau, avec (un peu de) fatalisme et (beaucoup de) combativité. Soprano acclamée sur les plus grandes scènes lyriques, très attachée au MET new-yorkais (toujours fermé), cette colorature à la voix de tous les possibles et au tempérament de feu – il faut l’avoir vue en scène – a des mots durs pour les politiques. „À quelques exceptions près, ils n’ont toujours pas compris que la culture est vitale. Dans une société où prime l’argent, elle s’adresse à l’âme et au cœur de chacun. Elle nous nourrit.“

Il y a trois ans, lors de la sortie de son passionnant CD Meyerbeer, elle nous avait confié voir „la musique comme une thérapie“ dans un monde en perdition. Quand on le lui rappelle, elle embraie: „La musique est la langue des sentiments, elle nous aide à pleurer et à rire. À respirer! Elle oxygène notre quotidien en nous donnant plus de force pour continuer à avancer malgré la crise actuelle. Nous avons l’obligation de tenir, pour nous et pour les autres. Nous devons rester connectés et nous en avons les moyens techniques.“

À ce propos, il y a quatre jours, vous chantiez depuis la chapelle de Caserta en Italie, en duo avec Joseph Calleja, un récital sans public, transmis par satellite sur le site du MET. Récital accessible pour 20 dollars (1). L’opéra „pay per view“ pour garder l’espoir?

Oui! C’était une manière d’offrir au public la musique, qui n’a rien d’un luxe. Le choix de l’église, lieu où s’exprime tout le génie de l’homme, n’était pas innocent. Et quand j’y ai interprété l’air de Tosca „Vissi d’arte“ („J’ai vécu d’art“, NDLR), je l’ai chanté comme une prière, pas comme une soprano dramatique. Il y a de la lumière au bout du tunnel. Il faut rester créatif.

Votre art, justement, vous le magnifiez avec la trilogie Tudor de Donizetti, que vous avez toujours affectionné. Parce qu’il n’est plus tout à fait Rossini et pas encore Verdi?

Vous avez tout deviné (elle rit)! Il comprend tellement bien le genre humain. Il y a dans sa musique autant de drames que de comédies. Il ne m’a jamais quitté. J’ai commencé ma carrière avec les légers „Don Pasquale“ et „L’elisir d’amore“. J’ai mûri avec „Lucia di Lamermoor“…

…dans une interprétation inoubliable heureusement disponible en DVD…

…merci! Lucia, c’est vraiment la grande époque du bel canto. Quel personnage, quelle fabuleuse peinture d’une folie pathologique…

Vous voilà trois fois reine en „Maria Stuarda“, „Anna Bolena“ et Élisabeth I, dans „Roberto Devereux“, opéras dont vous avez retenu les finals…

Parce que ce sont des moments tellement intenses, fascinants. Ces trois femmes, pas encore nées, étaient déjà menacées de mort. Nous avons enregistré avec Antonio Pappano et l’orchestre et les chœurs de l’Academia di Santa Cecilia. De merveilleux musiciens italiens pour recréer toutes ces tensions dramatiques.

Une même tessiture, mais trois caractères. Il est là le défi vocal?

Oui, car il ne s’agit pas seulement de chanter des airs, mais d’incarner des personnages qui ont rendez-vous avec leur propre mort, qu’elles affrontent chacune à leur manière. Anna Bolena, mélange de douceur et de rage, tombe dans une sorte de folie. Maria Stuarda mourra comme une reine sur l’échafaud en pardonnant à Élisabeth, qui a ordonné sa décapitation. Mais c’est sans doute Élisabeth la plus théâtrale. En proie à une grande culpabilité, elle implose en elle-même tant elle a subi de pressions. Musicalement, le final que lui offre Donizetti dans „Roberto Devereux“ est génial. La scène „Quel sangue versato!“ me donne la chair de poule. J’adore!

Vous serez en principe à Paris en janvier dans „Capriccio“ de Strauss…

…et je croise les doigts car c’est une œuvre magnifique, qui parle si bien de l’opéra…

…et pose la question de savoir si c’est le texte ou la musique qui doit primer dans la création d’un opéra. Selon vous?

On ne peut pas les séparer, même si la musique apporte toujours quelque chose d’inexplicable.

Alors, prima la musica o prima le parole?

La musica bien sûr. On ne peut pas vivre sans elle!